L’espace public, ce n’est pas seulement le lieu où les citadins vivent ensemble dans la ville, mais c’est précisément le lieu qui nous apprend à vivre ensemble, qui nous livre sans arrêt les codes pour être avec les autres. Dans le livre qu’elle vient de publier aux éditions La Découverte, « Manuel pour une hospitalité de l’espace public », l’architecte urbaniste Chantal Deckmyn questionne les objets de l’espace public et met à jour au jour les travers et les angles morts d’un aménagement urbain qui oublie trop souvent les humains au profit d’une approche simplement technique et fonctionnelle.
Et si on ne peut pas s’installer dans ce lieu, parce qu’il n’y a pas de banc pour se reposer, ou parce qu’on ne peut pas y satisfaire un besoin on ne peut plus naturel, ou tout simplement parce qu’il n’y a pas de coin d’ombre pour se protéger du soleil, eh bien, on ne participe pas à la vie publique. « On ne peut pas s’attacher à des lieux qu’on ne fait que traverser ».
Un espace public qui n’est pas attentif aux plus fragiles, aux plus vulnérables, c’est un espace public qui fait la part belle aux plus forts, qui laisse les plus forts le coloniser. Un espace public qui n’accueille pas la vulnérabilité (les enfants, les vieillards, les femmes enceintes, les handicapés, les sans-abri) est un espace qui ne fait pas ville. « Les villes aujourd’hui n’ont plus de rez-de-chaussée, c’est redoutable », assène Chantal Deckmyn dans un raccourci saisissant.
Pour garder ce qui fait leur identité, leur singularité, dirait plutôt Chantal Deckmyn, les villes doivent se renouveler (à la place de se rénover) à partir d’elles-mêmes. Plutôt que d’aller chercher des modèles exogènes ailleurs, des modèles stéréotypés qui nient l’âme des lieux, pourquoi ne pas essayer de comprendre ce qui est là. Pourquoi ne pas écouter les gens parler de leurs habitudes, de leurs façons de s’emparer de l’espace public de leur ville, les écouter dire leur sentiment dans ce qui est leur ville, leur quartier, leur monde, et accompagner son évolution.
« On ne peut pas confier la ville seulement aux urbanistes, dit Chantal Deckmyn, mais on ne peut pas non plus la confier seulement aux citadins. Il faut trouver un emboîtement subtil entre les deux approches, entre les pratiques d’usage, le plus souvent très riches, et la pensée, la vision, d’une ville qui tienne compte du bien commun, de l’intérêt collectif ».
