Entretien

l’espace public, une « notion toxique »

En marge de l’entretien qu’il nous a accordé (voir « Toute ville est intelligente, de l’intelligence de ses habitants »), Thierry Paquot nous explique ici pourquoi il estime que la notion d’espace public est dangereuse, telle qu’elle est appréhendée en France.

Rappelant que cette notion n’existe pas dans d’autres pays, ni dans d’autres langues, ni même dans notre histoire (« la rue, au Moyen-Âge, n’a pas du tout la même fonction qu’aujourd’hui »), il redoute que ce lieu, qui est commun, accessible à tous et gratuit, ne soit standardisé par une appellation fourre-tout qui amènerait les aménageurs à le « traiter » partout de la même façon.

Etymologiquement signifiant « intervalle », espace n’est donc pas du tout synonyme de « lieu ». Dans tous les grands manuels d’architecture depuis Vitruve, fait remarquer Thierry Paquot, le mot espace n’est jamais employé. Celui de « lieu » tout le temps (locus en latin ou topos en grec), c’est-à-dire quelque chose qui se dresse à un endroit.

Oublions donc l’espace public pour mieux « traiter » nos villes.



« La rénovation urbaine ne fait pas tout »

« Il fallait absolument transformer l’aspect physique de certains quartiers » explique Nicolas Binet, mais « la rénovation urbaine ne fait pas tout ». Dans l’ouvrage qu’il a co-signé avec Yves Laffoucrière (« La vie plus belle ? », éditions de l’Aube), il revient sur 20 ans de rénovation urbaine dans les quartiers d’habitat social en ne minimisant pas les apports positifs des conventions ANRU et en pointant de façon claire les angles morts d’une telle intervention.

L’approche de la rénovation urbaine, longtemps cantonnée à « certains quartiers, certains types d’habitat », peut tout à fait, selon Nicolas Binet, être étendue à tout périmètre dans lequel la dégradation du bâti entraînerait un problème social. Ainsi, des centres anciens dégradés dans certaines villes ou des copropriétés laissées à l’abandon et à l’emprise des marchands de sommeil.


« Toute ville est intelligente, de l’intelligence de ses habitants »

Thierry Paquot, le « philosophe de l’urbain », comme il aime à se définir, ne croit pas à l’intelligence de la smart city et encore moins à l’intelligence collective, qui serait la somme des intelligences individuelles. Une ville qu’on pourrait vraiment dire intelligente serait en revanche, pour lui, une ville où tout le monde pourrait intervenir à tout moment dans son organisation.

Il estime que la ville, aujourd’hui, dans le monde, se fait massivement en dehors de ses habitants. Mais faire croire qu’on a toutes les données pour organiser la ville, le big data, exonère les responsables de s’inquiéter de l’opinion des usagers. Et même plus : le big data leur permet de faire croire aux gens qu’ils ont été consultés.

Dans une vraie ville intelligente, Thierry Paquot imagine que ce sont les habitants eux-mêmes qui organisent le débat autour de l’aménagement de la ville. « Il faut que chacun, habitant, élu, technicien, éprouve quelque chose. S’il n’éprouve pas, c’est raté, on a tout faux ! » Chaque cas est un cas particulier, chaque cas est une expérimentation. On ne trouvera jamais le questionnaire type qui s’adapterait à toutes les situations. C’est toujours du cas par cas, du pas à pas. Et c’est obligatoirement expérimental ».

Et tout ça se fait « en faisant ». Avec de la confiance. « Et ça prend du temps ».


« Le projet partenarial d’aménagement du centre-ville de Marseille est un projet sur 20 ans »

Muriel Joer le Corre a été nommée en juin 2019 coordinatrice du projet partenarial d’aménagement du centre-ville de Marseille.

La coordinatrice du PPA sur le centre-ville de Marseille est consciente que les effondrements de la rue d’Aubagne ont été un « électrochoc ». Elle insiste sur le fait qu’il va falloir beaucoup de patience pour reprendre tous les logements délabrés du centre ancien. « Cela va être très difficile », annonce-t-elle, et long, « entre 20 et 30 ans ».

Dans l’immédiat, elle met en avant le fait que « le projet ne pourra se faire que s’il est « porté » par tout le monde, les élus et les techniciens, les collectivités et l’Etat, mais aussi les habitants ». La concertation, la co-production est inscrite dans la feuille de route de ce PPA (le 3e des 11 objectifs fixés), feuille de route qui devra être suivie par la métropole Aix-Marseille-Provence, dont c’est la compétence. Le rôle de Muriel Joer le Corre sera de s’assurer « du bon déroulement des opérations, dans le respect du contrat élaboré pour ce PPA ».

(L’entretien a été réalisé en octobre 2019)